Pierre et Gilles à la Philharmonie : rencontre avec des créateurs d’idoles

Pierre et Gilles à la Philharmonie : rencontre avec des créateurs d’idoles
Les Deux Marins, Autoportrait, 1993, Collection Museums of Fines Arts, Houston, USA © Pierre et Gilles

La Philharmonie de Paris fête Pierre et Gilles, auteurs de portraits photographiques, peints à la main, d’icônes de la chanson, de Sylvie Vartan à Étienne Daho, Stromae ou Clara Luciani. Conçue comme une installation musicale et visuelle, l’exposition dévoile les secrets de leur « Fabrique des idoles ».

ENTRETIEN

Vos quarante années de collaboration artistique ont été célébrées en 2017 par une rétrospective au musée des Beaux-Arts du Havre. Et voilà que la Philharmonie de Paris vous consacre à son tour une exposition, qualifiée d’« installation musicale et visuelle ». De quoi il s’agit ?

GillesC’est une exposition qui évoque notre rapport à la musique. Elle rassemble des portraits de chanteurs et des scènes imaginaires liées au thème. Soit une centaine d’œuvres au total. En ouverture, défilent nos travaux de jeunesse, les années 1980 – grande époque de la boîte de nuit le Palace – et le monde noctambule.
Plus loin, nous avons réuni des images d’icônes, qui occupent une place importante dans notre création, car nous avons souvent figuré les idoles sous les traits de divinités. Durant tout le parcours, chaque tableau est associé à une chanson, que les visiteurs peuvent écouter dans un casque. Soit elle est tirée du répertoire des artistes représentés (Dani, Serge Gainsbourg, Stromae, Conchita Wurst…), soit elle colle au sujet traité et est interprétée par Charles Trenet, Édith Piaf ou Led Zeppelin.
Nous avons également imaginé une chambre de fan. C’est un espace spécifiquement dédié à Sylvie Vartan, parce qu’elle est l’un des modèles qui a été le plus photographié. En fait, cette exposition reflète nos rencontres, nos amitiés. Notre vie.

Le Grand Amour, Marilyn Manson et Dita von Teese, Pinault Collection, Courtesy Noirmonartproduction © Pierre et Gilles


Vous voulez dire que la musique vous a toujours accompagnés…

Gilles : Oui, depuis l’enfance. Pour ma part, j’ai été élevé au Havre dans une famille bourgeoise. Mon père appréciait le classique. Moi, qui étais un enfant un peu triste, je préférais la variété, par provocation sans doute aussi. Durant mes années aux Beaux-Arts, j’écoutais Janis Joplin, Bob Dylan ou les Beatles. Et j’adorais autant les shows télévisés dans lesquels étaient invités Claude François ou Sheila, même si mes camarades se moquaient de moi. J’aimais déjà la culture populaire.

Pierre : Dans ma famille, on écoutait peu la musique. Mes parents possédaient juste quelques disques d’Édith Piaf, de Line Renaud ou de Sacha Distel. Puis, à douze ans, en colonie de vacances, un moniteur m’a fait découvrir Johnny Hallyday. J’ai immédiatement acheté ses disques et je suis tombé sur des pochettes de disques de Sylvie Vartan. Alors, je me suis intéressé aux yéyés.
Vers cette période, j’ai découvert le cinéma. Non pas dans les salles – il n’y en avait pas à La Roche-sur-Yon, où j’habitais – mais à travers les revues Mon film ou Cinémonde. Je suis ensuite parti étudier la photographie à Genève.

Nina Hagen, collection Noirmonartproduction, Paris © Pierre et Gilles


Comment avez-vous pénétré le milieu musical ?

Pierre : Lorsque l’on s’est rencontré à Paris, en 1976, Gilles était illustrateur. De mon côté, je signais des portraits pour Interview ou Rock & Folk. J’avais fait ceux d’Andy Warhol et de Mick Jagger, en couverture du magazine Façade. Nous avons rapidement décidé de travailler ensemble. À cette époque, avant même le début des années Palace, nous sortions beaucoup. On photographiait nos amis – Eva Ionesco, Christian Louboutin, Farida Khelfa… – et parmi eux se trouvaient des chanteurs, comme Marie France, égérie de l’underground, qu’on n’a jamais cessé de suivre.
Un jour, Amanda Lear nous a contactés. Avec elle, en 1979, nous avons réalisé notre première pochette de disques. Celle de l’album La Notte La Notte d’Étienne Daho, en 1983, nous a lancés. Parallèlement, on développait notre travail personnel. À vrai dire, les événements se sont enchaînés naturellement. Nous n’avons pas eu besoin de décrocher le téléphone pour rechercher des modèles. Madonna a souhaité nous voir. Nous avons fait la connaissance de Sylvie Vartan pendant une soirée chez Étienne Daho. Aujourd’hui, on nous envoie des messages via Instagram. Comme l’ont fait récemment Clara Luciani et Juliette Armanet. Bien sûr, avant d’engager toute collaboration, nous discutons. Il faut que les modèles nous séduisent, par leur histoire, leur personnalité.

La Madone aux fleurs, Clara Luciani, Collection Pierre et Gilles, Courtesy Galerie Templon, Paris-Brussels © Pierre et gilles


D’où viennent vos sources d’inspiration ?

Gilles : Mon père m’a transmis son goût de la peinture classique. Il m’entraînait au Louvre et dans des expositions. Moi, j’étais plutôt attiré par le Pop Art et le Nouveau Réalisme, Niki de Saint Phalle, Martial Raysse. Ce qui nous a tous les deux influencés, c’est l’iconographie religieuse, parce que nous avons grandi dans la tradition catholique. L’un de mes frères est moine et j’ai été enfant de chœur. L’histoire des saints me passionnait.

Pierre : Enfant, j’adorais les églises, pour leur mystère. Jusqu’à ce que je me détache de la religion, à l’adolescence. Comme Gilles. Nous l’avons redécouverte ensemble, en 1979, à l’occasion d’un voyage en Inde. Je me souviens de notre stupéfaction devant les sainte Thèrèse et les saint Sébastien, recouverts de paillettes et de couleurs. C’est ce qui nous a donné envie de représenter nos modèles en saints chrétiens ou en divinités hindoues. Nous avons ainsi imaginé Boy George en Krishna, Nina Hagen en Kali, Conchita Wurst en Christ et madone à la fois. Même sensuels, nos tableaux ne sont pas blasphématoires.

La Madone au cœur blessé, Lio, Collection François Pinault © Pierre et gilles


Comment définiriez-vous votre univers ?

Gilles : Il semble idéalisé, au premier coup d’oeil. D’ailleurs, quand nous avons commencé à travailler, il dérangeait. À cette époque, en pleine période punk, le milieu artistique portait aux nues les photos conceptuelles, en noir et blanc. On nous considérait vraiment comme des martiens. Et les choses ont évolué. Quoi qu’on en dise, nos clichés renferment plus de profondeur que beaucoup ne le pensent.
Par exemple, quand on aborde l’actualité au travers de thèmes tels que le printemps arabe, l’opération Sentinelle, le port du voile ou le mariage pour tous, nos photographies possèdent alors une dimension sociale. De même, certains portraits de chanteurs sont empreints de gravité. Ainsi, nous avions représenté Serge Gainsbourg derrière les barreaux, en père Noël, larmes aux yeux. Récemment, dans un tableau intitulé Le Doigt de Dieu, Étienne Daho apparaît masque mortuaire en main. Finalement, nous nous protégeons derrière un monde joli pour exister.

Extase, Arielle Dombasle Detour, 2002, Collection Particulière, Paris © Pierre et Gilles

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