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Exposition à GenèveLa BGE raconte Elise Müller, alias Hélène Smith

Le tableau d’Elise conservé à Lille depuis 2002.

C’est une histoire à la fois martienne et genevoise. Elle nous est racontée par la Bibliothèque de Genève (BGE) jusqu’en novembre. Cette dernière ne pouvait pas rester sans rien faire en cette année ultra-féminine. Elle nous parle donc d’Elise Müller, alias Hélène Smith (1861-1929). L’institution possède en effet une large documentation tournant autour de ce médium inspiré, qui a connu en son temps une audience mondiale. Il manque en revanche à Genève le plus clair de son œuvre peint. Restent à la BGE quelques aquarelles seulement. Le reste a disparu. Je vous raconterai plus avant le pourquoi du comment de cette sombre affaire.

Vendeuse dans un magasin

Elise est née presque accidentellement à Martigny. Ses parents s’étaient brièvement installés en Valais. Il s’agit d’un père déserteur hongrois, qui avait passé par l’Italie avant de se retrouver en Suisse, et d’une Genevoise de souche comme on dit aujourd’hui. La fillette a une kyrielle de frères et sœurs, souvent morts très jeunes. L’adolescente fait son apprentissage dans un commerce de tissus. La trentaine venue, la femme se passionne pour le spiritisme, qui a connu une étonnante vogue quarante ans plus tôt. Elle participe à des séances où éclatent ses dons de communication avec l’au-delà, tout en continuant à vendre de la soie ou du coton. Son cas intéresse Théodore Flournoy, professeur de psychologie à l’Université. C’est le moment des grands basculements mentaux. Le livre que le scientifique publiera en 1899 sur Elise (qu’il renomme pour protéger son relatif anonymat Hélène Smith) est contemporain des études psychanalytiques de Sigmund Freud. Bientôt traduit en plusieurs langues, avec une version américaine, il s’intitule «Des Indes à la Planète Mars».

Elise et le professeur Flournoy, vers 1900.

Pourquoi ce titre, il est vrai accrocheur? Parce que dans d’autres vies ou sur d’autres astres, Elise a connu des «existences» aux Indes (ou elle a du reste été amoureuse d’un avatar de Flournoy) ou sur Mars. Elle a aussi été Marie-Antoinette au temps jadis. Le tout s’accompagne bien sûr de visions, et de l’émission de langues aussi inconnues qu’étranges. Il correspond au goût de l’époque, avide de ce qui pourrait venir contrecarrer le matérialisme ambiant. Une milliardaire débarquée à Genève assurera du reste une pension à cette femme extraordinaire. Libérée des contingences matérielles, Elise (qui se prénomme en fait Catherine, mais elle n’est est plus à une identité près) peut commencer à peindre. Pas seulement à l’aquarelle ou à la gouache! Elle s’attaque à d’énormes huiles sur bois, aux sujets bien sûr mystiques ou mystérieux. Il lui arrive de montrer ses tableaux, qu’elle léguera en 1929 à Genève où la défend Waldemar Déonna. Un brillant helléniste, bon photographe et directeur du MAH.

Le grand tableau sur bois entré en 2020 au Centre Pompidou.

L’histoire que nous raconte la BGE dans un excellent petit livre introductif de 74 pages offert à chaque visiteur aurait pu s’arrêter là. Ce n’est pas le cas. Un avocat un peu véreux (il y en a toujours eu) va faire casser son testament, qui ne comprenait hélas pas la mention de son lieu de rédaction. Il a retrouvé de vagues parents hongrois qui seraient les héritiers légitimes. Genève rend les tableaux en 1930 pour éviter des histoires. Ceux-ci ont largement disparu, comme en témoigne une étude publiée dans le fascicule rédigé sous la direction de Marco Cicchini, Paule Hochuli et Nicolas Schaetti. Il y a certes eu des destructions, mais certains panneaux émergent parfois. L’un se trouve depuis 2002 à Lille, où le Musée de Villeneuve-d’Ascq collectionne l’art brut. Un autre est parvenu en 2020 au Centre Pompidou avec l’énorme donation des époux Decharme. Le reste demeure essentiellement connu par les photos en noir et blanc publiées dans les ouvrages de Flournoy.

L’une des aquarelles vues en reproduction à la BGE.

Tout cela est excellent. Le livret constitue un modèle d’intelligente diffusion scientifique. Mais il y a hélas l’exposition elle-même. Elle n’a bien sûr pas lieu dans l’Espace Ami-Lullin au rez-de-chaussée de la BGE, réaménagé naguère à coups de millions. Le lieu est aussi clos que ne l’étaient naguère certaines maisons. Je n’ai jamais réussi à en comprendre la raison, mais rien ne me semble bien cartésien à Genève. Tout se passe donc au premier étage dans le Couloir des coups d’œil, dont je vous ai déjà dit tout le mal que le pense. Ce boyau menant à des bureaux n’offre aucun recul. Il n’a jamais été conçu pour proposer des œuvres. Ce n’est du reste apparemment pas le but, si j’en crois l’avertissement rédigé en page de garde. «Par l’accrochage de reproductions, chacune et chacun est invité.e à découvrir des documents autour d’une thématique ou d’une personnalité sans les contraintes de conservation liées à la présentation d’originaux.» Dans ces conditions, pourquoi réaliser des expositions annoncées par de fallacieuses affiches apposées en ville?

Théodore Flournoy jeune, par Fred Boissonnas.

Que voit en effet le visiteur? Des répliques collées, avec du texte autour, sur des panneaux bariolés. Ceux-ci restent posés au sol, prenant appui sur les parois. C’est le niveau zéro de la mise en scène. On se croirait dans une Maison des Jeunes pendant les années 1970. Une époque où la culture ne disposait pas encore d’énormes moyens financiers. Pourquoi faut-il toujours que tout ait l’air miteux dans notre ville? Magnifique projet, «Elise Smith, médium, artiste alias Hélène Smith» aboutit ainsi a une exposition qui fait honte. Et ce n’est pas la première fois à la BGE! Quand rouvrira-t-on l’Espace Ami-Lullin? Lui au moins, avec en prime sa collection de portraits académiques aujourd’hui reléguée en caves, possédait sa dignité.

Pratique

«Elise Müller, médium, artiste», Bibliothèque de Genève, promenade des Bastions, Genève, jusqu’au 25 novembre. Tél. 022 418 28 00, site www.institutions.ville-geneve.ch/fr/bge Ouvert du lundi au vendredi de 9h à 18h, le samedi de 9h à 12h.