Un pénalty de football, réussi ou raté, peut-il changer la vie d'un homme et d'un pays ? Une belle uchronie inversée sur un moment de la dislocation yougoslave.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/08/26/note-de-lecture-le-dernier-penalty-gigi-riva/
Journaliste italien qui fut longtemps envoyé spécial puis rédacteur en chef (entre 2012 et 2016) de l'hebdomadaire L'Espresso, dont il est toujours l'un des éditorialistes aujourd'hui, Luigi Riva (dit
Gigi Riva, comme le buteur légendaire de la Squadra Azzurra, avec qui il ne faudrait pas le confondre) a couvert intégralement ou presque les conflits de l'ex-Yougoslavie, qui lui ont inspiré plusieurs ouvrages. Son cinquième, publié en 2016 et traduit en français la même année par
Martine Segonds-Bauer dans la collection Fiction & Cie du Seuil, est sensiblement différent, même s'il s'attache au même sujet central.
Début 1990, une Yougoslavie de six républiques fédérées et de deux provinces serbes autonomes, avançant quelque peu en somnambule (ou en zombie) depuis la mort de Tito dix ans plus tôt, est en pleine crise économique. Elle vient de voir s'affronter, durant toute l'année 1989, à grands coups de discours publics et de tribunes enflammées, le dirigeant nationaliste serbe Slobodan Milošević et, de manière beaucoup plus posée, son homologue slovène Milan Kučan, qui occupe alors la présidence tournante (depuis la constitution de
1974) de la Fédération, culminant lors du 14ème Congrès extraordinaire de la Ligue des communistes de Yougoslavie, en janvier 1990. Les élections parlementaires qui s'échelonnent tout au long de cette année-clé portent au pouvoir des nationalistes centrifuges en Slovénie et en Croatie d'abord, en Macédoine et en Bosnie-Herzégovine ensuite, tandis que les ex-communistes – mais en réalité déjà profondément acquis aux thèses nationalistes suprématistes – l'emportent en Serbie et au Monténégro, en toute fin d'année. de facto, sans attendre la chute du mur de Berlin et les proclamations d'indépendance des diverses républiques fédérées, la Yougoslavie a vécu.
Pourtant, l'Histoire aurait-elle pu se dérouler différemment ? C'est cette sorte d'uchronie inversée, soutenue par nombre d'observations d'époque soigneusement recueillies alors, que nous propose
Gigi Riva, à travers l'histoire étonnante de l'équipe nationale yougoslave de football, qui a vécu aussi cette année-là les tensions centrifuges qui agitent le pays, mais qui, après avoir éliminé l'Ecosse, la France et la Norvège en qualifications, disputait, depuis le 10 juin, la phase finale de la Coupe du Monde en Italie. Sortie 2ème de la phase de poules, derrière la RFA mais en éliminant Colombie et Émirats Arabes Unis, elle battit l'Espagne en huitièmes de finale, et se présenta face à l'Argentine en quarts de finale. Las, lors de la séance de tirs au but, Faruk Hadžibegić rate l'ultime pénalty de son équipe (qui en a déjà raté deux, comme son adversaire) et propulse l'Argentine vers la finale (après qu'elle aura vaincu l'Italie à domicile, en demi-finale), où elle s'inclinera face à la RFA. Si l'équipe yougoslave de football avait poursuivi son chemin encore un ou deux tours, ou – pourquoi pas ? – remporté cette Coupe du Monde, la fierté, la ferveur et la liesse auraient-ils pu retarder ou même anéantir les forces centrifuges alors en pleine action ?
Au-delà du poids d'un tel moment sur les épaules d'une personne (ce que l'auteur déchiffre à merveille), il y a bien là un étonnant travail de mise en perspective du football et de la politique, en une occasion particulièrement emblématique, qui inscrit ce texte dans la lignée d'
Eduardo Galeano (« le football – Ombre et lumière », 1995), de
Jean-Claude Michéa («
le plus beau but était une passe », 2010), voire de
David Peace («
Rouge ou mort », 2013). Et cet épilogue, ci-dessous, placé malicieusement en tête de l'ouvrage, en témoigne aussi à sa manière singulière.
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